Lutte contre le Tabagisme / Tall Lacina propose la reconversion des tabaculteurs

Le tabagisme est monnaie courante au sein des populations en Côte d’Ivoire et n’épargne aucune catégorie socioprofessionnelle. Il coûte à l’Etat plus de 28 milliards de Fcfa par an. Tall Lacina est le président du Conseil d’Administration du Réseau des ONG actives pour le Contrôle du Tabac en Côte d’Ivoire (ROCTA-CI). Il est également le coordonnateur du projet Renforcement des Capacités pour la Prévention du Tabagisme en Côte d’Ivoire (RECAPT-CI). Dans cette interview, il fait le point de la lutte antitabac. Infos d'Ivoire vous livre ce Dossier sur le Tabagisme.

Parlez-nous de votre organisation 

Nous sommes organisés en réseau avec une dizaine d'ONG. Le réseau a été mis en place en 2009. Ces ONG font des activités à caractère prévisionnel. Il s’agit de prévention universelle, c’est-à-dire la campagne de sensibilisation générale sur les méfaits du tabagisme ; la prévention indiquée c’est-à-dire une prévention qui cible les victimes, les malades, les fumeurs. En réalité, les fumeurs sont tous des malades parce qu’ils sont déjà accros. Ils ont atteint un certain niveau de dépendance et c’est ce qui fait qu’ils ont du mal à arrêter. Aujourd’hui, la dépendance est reconnue comme une maladie, donc on peut dire que les fumeurs sont des malades. Il y a également la prévention ciblée qui prend en compte les non-fumeurs, les victimes indirectes, les proches.

Comment se fait la prévention proprement dite sur le terrain ?

De façon générale, la prévention utilise plusieurs moyens. La sensibilisation, c’est déjà de la prévention. On utilise plusieurs autres moyens en dehors des médias traditionnels, des conférences de presse, des conférences publiques, des présentations sur des thématiques en rapport avec le tabac, des spots télé et/ou radio. Avec les nouveaux médias, nous avons des groupes WhatsApp qui intègrent nos différentes cibles ; nous avons également une page Facebook et une chaîne YouTube, sur lesquelles nous vulgarisons tout ce qui est activité du réseau. Il y a aussi la sensibilisation de masse où nous réunissons les gens sur un lieu afin de leur apporter le message sur la consommation du tabac. Lors de l’avènement de la Covid-19, nous avons mené trois (3) types d’activités. Il fallait d’abord former les membres du réseau sur cette maladie ; ensuite aller au contact des populations pour expliquer les mesures barrières ; et la corrélation du tabac avec la Covid-19. On est également intervenu pour dénoncer les nouveaux produits du tabac comme la chicha, la cigarette électronique et autres. Les industriels dans leurs slogans disent que ces nouveaux produits sont moins nocifs alors que la réalité est toute autre. Plusieurs études menées ont montré que ces produits sont très nuisibles à la santé. La loi du 23 juillet 2019 relative à la lutte antitabac stipule que ces nouveaux produits ne doivent pas être consommés dans les lieux publics. C’est donc inconcevable pour nous, en tant qu’acteur de la société civile, de voir la création des restaurants chicha et autres. Nous interpellons non seulement l’opinion nationale, mais nous interpellons aussi les autorités sur les dispositions de cette loi qui ne sont pas appliquées. En tant que citoyens, nous interpellons les autorités sur leurs rôles à veiller à l’application effective de la loi.

Qu’est-ce qui est véritablement fait à votre niveau pour faire bouger les lignes ?

Il y a le projet Renforcement des capacités pour la Prévention du Tabagisme en Côte d’Ivoire (RECAPT-CI) exécuté par l’ONG Comité Club Universitaire pour la Lutte Contre la Drogue et les autres Pandémies (CLUCLOD). Ce projet, financé par l’ACBF (Fondation pour le renforcement des capacités en Afrique) visait deux objectifs : le renforcement des capacités de l’ONG ; l’amélioration et le renforcement du cadre législatif de la prévention et de la lutte contre le tabac en Côte d’Ivoire. C’est grâce à ce projet, exécuté en mai 2019 avec des plaidoyers, qu’il y a eu la nouvelle loi relative à la consommation du tabac. Mais avant il a eu le projet EPALAT, qui était un projet de plaidoyer pour l’adoption de la Convention Cadre de l’OMS pour la Lutte Antitabac (CCLAT) en Côte d’Ivoire. Ce projet démarré en 2018 a duré 1 an. Nous pouvons dire que nous avons contribué à l’adoption de la loi à travers nos plaidoyers et nos actions.

Malgré toutes ces actions, pourquoi rien ne semble bouger sur le terrain ?

Lorsque la loi a été adoptée, il fallait la vulgariser. C’est à ce niveau qu’il y a eu un retard. Le ministère de la santé, à travers le PNLTA, a voulu mettre des outils en place. Le premier était d’élaborer un plan de communication nationale et une stratégie de communication. Pour qu'une loi soit appliquée, il faut des textes d’application. Il y a eu donc un premier texte sur le conditionnement des produits du tabac en Côte d’Ivoire et l’arrêté qui a porté sur la mise en place d’un comité technique de traçabilité du tabac. Ce qui a manqué, c’est le retard dans la vulgarisation de la loi. C’est vrai que nul n’est sensé ignorer la loi, mais on a aussi le devoir de porter la loi à la connaissance des populations. C’est vrai que la loi a été publiée dans le journal officiel, mais il faut vraiment communiquer dessus. L’essentiel n’est pas de sanctionner, mais de sensibiliser pour un changement des comportements. La lutte contre le tabagisme nous implique tous.

Quelle est la période de la campagne de sensibilisation ?

Normalement, la campagne a commencé en 2019 et se poursuit jusqu’à la fin de cette année 2021. Mais à côté de cela, en tant que membre de la société civile, nous avons milité pour l’adoption de trois politiques : la politique d’interdiction totale de la publicité ; la politique d’interdiction de fumer dans les lieux publics et la politique de vente au détail de la cigarette. Ces trois politiques sont celles sur lesquelles nous allons mettre le focus pendant ces 06 derniers mois de l’année. Nous suivons véritablement ces politiques pour que les agents de l’État qui veillent à leur application puissent être renforcés et qu’on puisse les voir effectivement sur le terrain.

Il y a aussi le projet d'appui à la vulgarisation de la loi financée par l’Union Européenne, dans le cadre du projet LIANE 2. Ce projet sera exécuté dans la commune d’Abobo avec deux approches. La première consistera à lancer le projet par la partie centrale, pour que les parties périphériques se l’approprient à la base. Ainsi, on pourra l’extrapoler à une grande échelle. L'autre approche est d’aller de la base pour tenter une expérience et si elle réussit, la lancer à l’échelle nationale. Nous serons avec les différentes parties prenantes : la mairie, la police, les tenanciers d’espace publics, pour les former et définir ensemble une feuille de route pour veiller et à l’application des politiques. Nous sommes aussi en attentes des résultats d’une étude menée avec un consultant. Avec ça, nous saurons sur quoi axer la sensibilisation de façon concrète.

Comment définissez-vous les conséquences du tabagisme sur la vie d’un individu ?

De façon générale, ce sont des conséquences sanitaires. Selon les médecins spécialisés, le tabac est la cause de 90% des cancers du poumon. Il ne faut pas oublier que le tabac est un facteur de risque de la tuberculose et du VIH. Il est incriminé dans tout ce qui est maladie non transmissible. Il cause également les maladies cardiovasculaires et les maladies respiratoires. En Côte d’Ivoire, ce sont plus de 9.000 personnes qui meurent par an, des maladies liées au tabac selon Atlas Tobaco 2018. Et l’État dépense plus de 28 milliards par an pour la prise en charge des maladies liées au tabac. Au niveau sécurité, il a été démontré que la contrebande de la cigarette nourrit les groupes armés terroristes. Tout comme la drogue, le tabac a son marché noir et ceux qui en tirent profits sont les terroristes.

Séance de travail au siège de CLUCLOD

Comment se fait l’approche des malades (fumeurs) ?

La première étape consiste pour le malade, à prendre conscience de son état et consulter un médecin. Dans la 2ème phase, il y a une assistance des médecins qui prescrivent des produits adaptés. Il y a une unité de sevrage du tabac en Côte d’Ivoire, mais la prise en en charge n'est pas entièrement gratuite vu le nombre croissant de fumeurs. En plus, les gens n'ont pas toujours conscience que cette unité existe. D’où la nécessité de communiquer et de sensibiliser les populations. À la faveur de la Covid-19 qui dure près de 2 ans, de nombreuses personnes veulent arrêter la cigarette. C’est ce qui justifie le thème de cette année ‘’S’engager à arrêter’’. Vu la corrélation qui existe entre ces deux maladies, il est vraiment important de s’engager à arrêter la consommation du tabac.

Quelle est cette corrélation entre la Covid-19 et le tabagisme ?

Il y a d’abord les voies d’infections qui sont similaires. On préconise même la distanciation parce que c’est le contact qui amplifie les contaminations. Le fumeur se touche constamment la bouche, or ce geste est interdit. Les premiers symptômes d’une personne atteinte de la Covid-19 sont des problèmes respiratoires tout comme pour le fumeur. Un fumeur qui contracte la Covid-19, compte tenu de son système immunitaire déjà fragilisé par le tabac, court le risque d’outre passer. Raison pour laquelle on prescrit l’isolement des personnes âgées, car leur système immunitaire est fragile.

Quelles solutions préconisez-vous pour une efficacité de la lutte ?

En matière de lutte contre le tabac, il y a deux approches : celle de la réduction de la demande et celle de la réduction de l’offre. Pour réduire la demande, il y a les différentes interdictions de publicité, de la vente au détail et de fumer en public, il y a aussi l’augmentation de la taxe. Pour la réduction de l'offre, il faut revoir les mesures de prise en charge comme le sevrage tabagique, la lutte contre la contrebande, mais aussi trouver une alternative à la culture du tabac. Autant il faut accompagner les fumeurs, autant il faut accompagner les tabaculteurs à se reconvertir dans d’autres cultures.

Il faut que la population comprenne qu’il y a une loi qui a été adoptée et qui prend en compte toutes ces politiques. Nous devons avoir un comportement citoyen vis-à-vis de nos lois, parce que aucune loi n’est prise pour faire du mal à la population. Les lois sont prises pour leur bien-être, pour leur santé. Le tabagisme est un frein au développement durable donc que tous veillent à l’application des lois pour leur épanouissement. Avec le contexte de la Covid-19, j'invite tout le monde, surtout les jeunes, à s'engager à arrêter la cigarette et les produits dérivés du tabac. Surtout quand on ignore les effets secondaires de ces pratiques.

Dans votre démarche, quels sont vos rapports avec l'industrie du tabac ?

La loi est très claire. En tant qu’organisation engagée dans la lutte contre le tabac, l’article 5.3 de l'OMS sur la lutte antitabac, interdit à toute partie de la CCLAT d’encourager l’interférence de l'industrie du tabac. Parce que cette industrie a un intérêt économique, commercial alors que l’État a un intérêt de santé publique. Ces deux intérêts étant opposés, il faut que la population prenne conscience des risques auxquels elle s’expose et s’en détourne.

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Par Raphael Okaingni

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