Interview Julie Penavayre (orthophoniste) / « Le Noma se développe chez les enfants de 0 à 6 ans »

Orthophoniste en France, à Lyon, vice-présidente de l’Association PhysioNoma, Julie Penavayre a séjourné en Côte d’Ivoire dans le cadre de la remise de diplôme de fin d’étude de Kobena Kouadio Wilfried, étudiant en orthophonie qu’elle a encadré. Elle dit vouloir profiter de sa visite pour valoriser l’orthophonie, la place de la rééducation surtout dans la maladie du Noma. Infos d’Ivoire est allée à sa rencontre. Interview !

L’orthophonie, qu’est-ce que c’est concrètement ?

L’orthophonie, c’est un métier paramédical qui est fait de thérapeutes, de rééducateurs. On s’occupe des troubles de la parole, du langage que ce soit à l’oral ou à l’écrit, on aide les gens à parler, surtout ceux qui ont perdu l’usage de la parole, qui ont fait un AVC, des cancers et d’autres accidents et ceux qui ont des retards de parole, des trisomiques, des autistes, le bégaiement, des problèmes de voix. En définitif, c’est un métier très large.

Quelles sont les aptitudes qu’une personne doit avoir pour être un excellent orthophoniste ?

Pour être un excellent orthophoniste, il faut tout d’abord de l’empathie pour pouvoir écouter les gens pour bien cerner leurs problèmes, plaintes, avoir de grandes capacités d’adaptation parce qu’il faut pouvoir vite s’ajuster et puis s’adapter à chaque cas qui est différent, être curieux parce qu’il faut avoir envie de chercher quels sont les problèmes. Pour moi ce sont les trois grandes qualités : curiosité, adaptation et empathie.

Quels sont les symptômes liés aux pathologies du langage ? pouvez-vous nous donner quelques pathologies récurrentes, surtout en Afrique subsaharienne et en Côte d’Ivoire ?

En Afrique subsaharienne et en Côte d’Ivoire, je pense que les pathologies principales sont entre autres les troubles du langage, le bégaiement, les gens qui ont du mal à parler et qui cherchent leurs mots, la dyslexie et les troubles du calcul qui sont aussi inconnus et qui font penser que l’élève est fainéant ou qu’il fait exprès de ne pas apprendre. Il n’arrive pas à écouter, ce qui fait qu’il a de mauvaises notes. Mais en fait, parfois c’est juste que même si on lui a appris à lire, il n’y arrive pas parce qu’il va confondre les lettres, les sons, les nombres. Ce sont en substance quelques symptômes qu’on peut retrouver.

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De quelles méthodes et moyens disposent les orthophonistes pour soigner ces pathologies ?

Pour moi, la vision que j’ai de l’orthophoniste, c’est que on apprend à apprendre et on ne donne pas des outils qui sont déjà donné à l’école, on essaie vraiment de trouver ce qui est adapté au patient parce qu’il y en a qui, par exemple, vont apprendre plus facilement grâce à la mémoire visuelle, d’autres qui vont apprendre grâce à la mémoire auditive, pour d’autres ça sera par les mouvements. En clair, il faut chercher ce qui va le mieux et proposer des exercices adaptés aux patients.

Est-ce avantageux de pratiquer l’orthophonie dans un pays comme la Côte d’Ivoire, où la discipline est méconnue de la population ?

Je pense que ça va gagner à être connu, ça va soulager les peines de beaucoup de monde parce que quand on est différent, on se sent différent. Et je pense que ça va faire déculpabiliser les gens qui se sentent handicapés.

En France, y a-t-il un accompagnement de l’Etat dans votre domaine ? Si oui, à quel niveau se situe-t-il ?

En France, on a beaucoup de chance parce qu’on a une sécurité sociale mais l’orthophoniste est remboursé intégralement parce que c’est pris en charge à 60% par l’Etat et 40% par des mutuelles. Mais, en France tout le monde a des mutuelles pas obligatoires mais presque, ça permet de venir compléter ce que la sécurité sociale ne prend pas en charge. Donc finalement les patients n’ont rien à avancer, ça coûte chère mais ce n’est pas à la charge des patients.

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Parlez-nous de votre association PhysioNoma.

PhysioNoma est une association de kinésithérapeutes et donc d’orthophonistes qui a été créé en 2003. C’est une étudiante en orthophonie qui a fait son mémoire de fin d’étude sur le Noma comme Kobena Kouadio Wilfried et qui a créé cette association pour valoriser, développer la rééducation auprès des enfants. Avec les enfants atteints du Noma, on travaille avec des chirurgiens qui eux opèrent et nous derrière on rééduque, pour essayer de faire en sorte que la chirurgie soit efficace et pérenne.

Y a-t-il un partenariat en vue entre PhysioNoma et le ministère ivoirien de la santé ? Quels seront ses implications à terme ?

C’est la première fois que l’association vient en Côte d’Ivoire donc l’objectif de la venue actuellement, c’est de créer des partenariats, rencontrer les différents agents de santé, les différents acteurs qui sont susceptibles de recevoir du Noma et surtout de sensibiliser les orthophonistes. Donc là Kobena Kouadio Wilfried rejoint l’association et l’idée c’est que lui-même soit référent en Afrique afin de faire connaitre davantage l’association. Alors avec le ministère de la Santé, de l'Hygiène Publique et de la Couverture Maladie Universelle, il y aura sans doute des choses à faire et j’espère que cela aboutira à des collaborations importantes avec l’Etat ivoirien.

Vous êtes en Côte d’Ivoire pour faire la lumière sur une pathologie. Dites-nous-en plus.

C’est une maladie qui existe dans les zones les plus pauvres, Abidjan, il n’y en aura pas. Elle existe parce que ça se développe surtout chez les enfants de 0 à 6 ans avec de petites plaies dans la bouche qui s’infectent parce que l’enfant est dénutri, malnutri, il n’y a pas d’hygiène bucco-dentaire. Ensuite cette infection évolue négativement et vient ronger les muqueuses de la peau, les muscles, la peau, les os et donc faire qu’une partie du visage va tomber et il y aura vraiment un trou dans le visage. Il faut aussi dire qu’elle fait peur parce qu’elle est défigurant, mais elle n’est pas du tout contagieuse car c’est quelque chose qu’on développe personnellement.

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Nous venons d’assister à la sortie des premiers orthophonistes formés en Côte d’Ivoire. En tant qu’aînée dans ce milieu, quels sont vos conseils à leur endroit ?

Moi je leur dirai que le Noma, c’est une pathologie qu’ils rencontrerons peut-être pas dans leur carrière mais ce n’est pas une raison pour ne pas s’y intéresser. Je pense que ça rejoint une des qualités pour être orthophoniste, la curiosité parce qu’un jour ça peut arriver et ressembler à d’autres pathologies qu’on reçoit dans nos cabinets. Je leur conseille vraiment de s’y intéresser et en tout état de cause de connaitre les acteurs qui peuvent et qui sont plus impliqués dans la cause pour référer en cas de question. Si un jour ils croisent un patient avec le Noma qu’ils sachent qu’elle est la marche à suivre.

Quel est votre appel à l’endroit des personnes qui souffrent de troubles du langage et de la communication, ainsi qu’à l’endroit de la population en général, qui méconnait votre discipline ?

J’ai l’impression qu’en Afrique quand quelque chose ne va pas trop, on dit ‘’tais-toi ça va aller’’, ‘’Sois fort’’ et bien d’autres expressions. Je pense que les métiers de l’orthophonie et les métiers paramédicaux, ça vient emmener une vision, un peu de soulagement, de déculpabilisation et de dire ‘’Non en fait on peut faire quelque chose, on peut t’aider à aller mieux’’. Pour moi, l’être humain a assez de souffrances dans la vie alors je pense que ceux qui ont des handicaps et des troubles méritent d’avoir cette aide là pour pouvoir affronter la vie comme tout le monde.

Par Toussaint Konan

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