Interview Prof Kouassi Boko, pneumologue / « Le Tabac peut entrainer des risques de stérilité »
- Publié le 12, jui 2022
- SOCIETE
Le professeur Alexandre Kouassi Boko est pneumologue et responsable de l’unité de sevrage tabagique au CHU de Cocody. Dans le cadre de la promotion de la lutte antitabac, Infos d’Ivoire est allé à sa rencontre. Dans cette interview, il parle de l’impact du tabagisme sur la santé, des conséquences de la consommation des nouveaux produits du tabac, et donne quelques moyens de lutte. Interview !
Professeur, que doit-on retenir de l’unité de sevrage tabagique de façon succincte ?
L’unité de sevrage tabagique est une unité de la pneumologie qui s’occupe des fumeurs. Un fumeur, c’est quelqu’un qui est dépendant du tabac. Et, lorsqu’il veut arrêter de fumer, il a besoin d’une aide au sevrage tabagique. Donc, de façon simple, nous aidons tous les fumeurs qui veulent arrêter ; tous ceux qui désirent abandonner la consommation du tabac. Nous les aidons à arrêter parce que de leur propre chef, ils n’y arrivent pas. Voici en gros, le contenu de notre unité.
La pratique de la chicha prend aujourd’hui de l’ampleur en Côte d’Ivoire. Quelles peuvent être les conséquences sur la vie du consommateur au plan médical ?
Ceux qui fument la chicha ou le narguilé pensent que c’est un mode de consommation qui n’a pas de complication. C’est faux ! La chicha est une pipe à eau. Or quand la cigarette passe par l’eau, cela refroidit la fumée. Ainsi, le fumeur peut aspirer de très fortes bouffées de fumées. Ces bouffées sont identiques à la cigarette, c’est le même tabac et ça contient des substances toxiques. Sauf que cette fois, avec la chicha, on inhale beaucoup plus de fumées ; donc beaucoup plus de substances toxiques. Et les complications sont très rapides et elles sont plus graves. C’est-à-dire que le risque d’avoir des maladies est multiplié par 20.
Avec une bouffée de Chicha, c’est comme une cigarette entière que nous avons fumée. Quand vous faites une session de chicha, c’est 20 à 40 cigarettes brulées. Avec ignorance, les jeunes gens pensent que c’est un phénomène de mode, et que cela est plus convivial ; Alors que le risque est énorme. La densité de fumée inhalée est plus élevée et ils sont surexposés aux complications liées au tabagisme, aux risques de cancers.
Prof Alexandre Kouassi Boko, responsable de l’unité de sevrage tabagique au CHU de Cocody (Ph : Raph-O)
Quel est votre regard sur cet aspect en tant que professionnel de la santé ?
Le danger est réel et des mesures idoines doivent être prises. La première chose à faire est de prendre des mesures pour éviter la consommation de la chicha. Il faut qu’au plus haut sommet de l’Etat les gens prennent conscience que la chicha est une forme grave de tabagisme. En deuxième lieu, il faut une sensibilisation au niveau de la population. Elle doit savoir que fumer le tabac sous cette forme est plus dangereux et qu’il ne faut pas s’y aventurer. En tant que responsables de la santé, responsables de programme de lutte contre le tabagisme, notre responsabilité est aussi engagée. Nous devons sensibiliser, amener ceux qui sont déjà dans ce phénomène à l’arrêter.
Mais comment arrive-t-on à cette dangerosité pour une pratique qui est perçue comme sans risque ?
Il faut prendre la chose très au sérieux. Les industriels véhiculent de fausses informations sur la capacité de nuisance de leurs produits sur l’organisme. En me promenant parfois à Abidjan, je me rends compte qu’il existe des terrasses chicha, des maquis chicha ; tout cela est à interdire sans complaisance. Aujourd’hui, il y a une loi qui interdit de fumer en public. La loi doit interdire aussi cette consommation de la chicha, parce que c’est plus dangereux que la consommation du tabac. Dès que vous commencez à fumer, il y a des substances qui entraînent chez vous une dépendance. Du coup, il est quasi impossible de s’en détourner tout seul. Il faut de l’aide. Et, le centre d’aide aux sujets tabagiques est là pour ça. Nos portes sont ouvertes. Toutes les personnes qui désirent arrêter peuvent venir vers nous, nous allons les aider.
Croquis d’un poison universel (Ph : DR)
Quelles sont les conséquences du tabagisme sur le plan sanitaire ?
Les conséquences de l’usage du tabac sont nombreuses. Mais avant de parler des conséquences, il faut noter que le Tabac contient plus de 5000 à 6000 substances toxiques. Donc, à chaque bouffée, ce sont des milliers de substances toxiques que vous inhalez. On peut classer ces substances en 4 groupes. Il y a des substances qui entraînent le cancer, des substances qui entraînent la dépendance, des substances qui entraînent la destruction de la muqueuse. Il y a également des substances appelées des radicaux libres, qui sont des substances très dangereuses. Ces substances sont dominées par le monocyte de carbone qui est à la base des problèmes de respiration, parce que ce monocyte de carbone prend la place de l’oxygène. Donc la personne n’aura pas suffisamment d’oxygène et cela va créer des troubles de l’organisme.
Celui qui fume détruit ses poumons. Petit à petit il va détruire sa gorge et sa bouche. C’est ce qu’on appelle les irritations, puisque les milliers de substances inhalées passeront dans le sang. Une fois dans le sang, cela va agir sur le cœur et peut entraîner l’hypertension artérielle, un infarctus (les morts subites ou crises cardiaques) ; Cela peut entraîner des AVC, parce que les vaisseaux sanguins seront bouchés ; Cela peut entraîner des maladies cardiaques chroniques (le cœur ne fonctionne pas bien, ne travaille pas bien).
Ces substances vont aussi entraîner le cancer des autres organes, tels que le cancer du pancréas, de l’estomac, de la vessie. Chez la femme, le cancer de l’utérus sera en partie lié à la consommation du tabac et cela pourra entraîner aussi des maladies vasculaires. Celui qui fume peut avoir un autre type de risque au niveau de la reproduction.
Par exemple, une femme qui fume peut avoir des difficultés à concevoir et développer des risques de stérilité. Le tabac est la cause des bébés mort-nés, des bébés qui naissent avec des malformations, des fausses couches et bien d’autres. C’est pourquoi il est déconseillé à la femme enceinte de toucher à la cigarette. Chez l’homme, cela peut entraîner des troubles sexuels, qui peuvent aller jusqu’à l’impuissance sexuelle. Le tabac entraine de nombreuses complications.
Prof Alexandre Kouassi Boko, pneumologue (Ph : Raph-O)
Quels moyens préconisez-vous pour une efficacité de la lutte contre le tabagisme ?
Pour une lutte efficiente contre le tabagisme et ses dérivés, nous proposons trois mesures, que nous appelons sevrer, sensibiliser, informer. Il faut sevrer ceux qui fument et qui sont déjà dépendant du tabac, sensibiliser la population dans sa grande majorité, et l’informer sur les risques, complications et dangers réels de la consommation du tabac. Il faut leur donner les informations justes. En résumé, l’État doit prendre des mesures pour éviter, sinon limiter l’accès à tous ces produits. Ce n’est qu’à ce prix que nous pourrons sauver notre jeunesse et nos populations.
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Par Georgette Yapo