Soumahoro Adama / Nous buvions le restant d’eau des chameaux, sinon tu meurs de soif

Soumahoro Adama a 31 ans. Migrant de retour en 2018, il évolue dans le E-commerce, la vente en ligne. Il dit avoir décidé d’immigrer en 2013, à l’âge de 23 ans. Les mauvais conseils l’ont conduit à emprunter le chemin de la clandestinité, pour un coût compris entre 1,5 et 2 millions Fcfa. Témoignage !

Pourquoi avez-vous décidé d’immigrer en utilisant la voie clandestine ?

J’ai décidé emprunter la voie clandestine parce que je ne croyais plus en mon pays. Quand je m’assois et que j’analyse, je vois que rien ne va. Il y a un ami qui est venu d’Issia et m’a dit qu’il avait un peu d’argent et il souhaiterait qu’on parte à l’aventure. Moi-même, j’avais un peu d’argent sur moi et nous avons assemblé notre argent. C’était un moment où les gens partaient beaucoup. Chacun soutenait sa famille. Quand il y a des difficultés, ils appellent leurs familles et celles-ci leur apportent le soutien. C’est ainsi que nous avons pris la voie. Nous sommes passés par le Bénin puis nous sommes arrivés au Niger. Du Niger, nous nous sommes retrouvés en Algérie.

Par quel moyen de transport vous avez parcouru ces chemins ?

De la Côte d’Ivoire au Bénin, nous avons parcouru pris le car. Arrivé au Bénin, nous avons emprunté le véhicule des concessionnaires d’automobiles nigérians. Ils nous ont convoyé au Niger. Du Niger, nous avons pris des bus pour nous rendre à Agadez. Arrivés à Agadès, ils nous ont mis en contact avec des personnes qui nous ont transporté à Eguisheim la première ville de l’Algérie.

Vous aviez dit que vous ne croyiez plus à la vie en Côte d’Ivoire. Quelles étaient vos conditions de vie ?

C’était difficile ! Parce que quand tu vois quelqu’un quitter un point A pour un point B, c’est que le point A était difficile. En 2010-2011, je décourageais les gens de partir. Je me disais que tout ira mieux. Mais, en 2013, j’ai décidé de quitter le pays. Je me suis rendu compte de quelque chose, ça n’allait pas.

Comment étaient les conditions de votre voyage ?

Le voyage était très difficile. Nous avons quitté la Côte d’Ivoire, en passant par le Ghana, Bénin sans problème. C’est lorsque nous sommes arrivés au Niger où nous devons traverser le désert que tout le calvaire a commencé. Traverser le désert était très difficile parce qu’ils nous ont pris dans un Pick Up pour aller nous déposer quelque part et nous avons marché dans le désert sans eau et sans nourriture, parce qu’on ne s’attendait pas à cela. L’eau qui sort du robinet était chaude, mais nous sommes obligés de boire pour survivre. Nous avons marché pendant des heures et nous sommes arrivés à Eguisheim. À Eguisheim nous avons emprunté des voitures pour rentrer à Tamanrasset, une ville de l’Algérie. Dans cette ville, nous étions dans les foyers (camps de migrants), où nous avons retrouvé des Maliens et des Ivoiriens.

Quel était le pays visé et quelle activité avez-vous à cœur de mener lorsque vous avez décidé de partir ?

Au départ de mon voyage, je partais sur Gabon. C’est en cours de route que j’ai changé d’idée. J’ai mon grand frère au Gabon et je partais le rejoindre. Arrivé au Bénin, j’ai changé d’idée et j’ai décidé d’aller en Algérie, puis continuer au Maroc et plus tard aller en Europe. A vrai dire, je partais juste pour voir l’Europe parce que les gens s’y rendaient.

Comment étiez-vous traités là-bas ?

Dans le désert, il n’y a pas de logement, c’est une traversée. Cela peut faire deux ou trois jours. Souvent nous sommes obligés de boire le restant d’eau des chameaux. Si tu refuses boire tu vas mourir. Nous avons vu des gens mourir.

Comment s’est fait votre retour avec l’OIM ?

Le retour avec l’OIM, c’est moi qui l’ai décidé. Parce qu’arrivé au Maroc, j’ai fait mes recherches et j’ai eu à aider d’autres personnes à se retourner sur Abidjan grâce à l’OIM. Du Maroc, je me suis retourné en Algérie pour voir quelqu’un par une route terrestre. Puis j’ai continué au Niger et cela a coïncidé avec le rapatriement. C’est ainsi que j’ai décidé de rentrer chez moi, parce qu’on ne m’a pas chassé de la Côte d’Ivoire pour que je reste souffrir pour rien ailleurs. C’est vrai que je ne croyais plus en mon pays, mais je décide également de rentrer au pays, parce que je n’ai pas volé avant de m’en aller. Ce qui se racontait sur les réseaux sociaux, l’Europe est l’eldorado, le paradis, ça n’a pas été le cas.

Comment se fait votre réintégration ?

Moi personnellement, j’ai eu à travailler sur le développement personnel. Quand je suis arrivé le 22 juin 2018, j’étais en attente de l’OIM, ils m’ont dit qu’ils vont me réintégrer. En septembre 2018, ils m’ont appelé pour me dire qu’il y a une formation dans une école à Azaguié, donc je me suis rendu là-bas pour suivre la formation. En tout cas, mon retour en Côte d’Ivoire n’a pas été difficile. Mais avec les amis, la famille, c’était un peu bizarre parce qu’ils te regardaient autrement. Ils disaient que je suis un fainéant parce que je n’ai pas pu rentrer en Europe, pourtant il y a d’autres qui sont rentrés. Mais ce qui était dans ma tête est qu’on pouvait réussir partout. Et c’est ce qui m’a motivé aujourd’hui à forcément m’intégrer dans la vie active. J’ai deux batailles en tête, ceux qui sont partis doivent venir me trouver autrement et je veux dépasser ceux qui sont ici. C’est ça mes objectifs.

Quel est votre message à l’endroit des personnes qui veulent toujours tenter l’aventure ?

Comme on dit chez nous ‘’Conseil ne conseille pas, c’est conséquence qui conseille’’. Souvent ce que nous disons pousse même les gens à tenter l’aventure. Quand tu veux donner des conseils à quelqu’un et tu lui dis de ne passer par là, il te répond que si tu es parti et que ça n’a pas marché pour toi ; ça ne veut pas dire que ça ne marchera pas pour lui. La moindre des choses, c’est de croire en soi-même, faire confiance à nos institutions parce que personne ne viendra faire notre travail à notre place. C’est vrai, nous partons en Europe parce que la publicité de l’Europe a marché, mais il faut savoir que personne ne pourra t’apporter la confiance en soi.

Lire ici Phénomène de migration - La vérité cachée

Lire ‘’Nous avions ¼ de pain comme nourriture par jour’’

Lire Voici comment fonctionne la DGIE dans la gestion de l’immigration

Lire Immigration, Pourquoi opter pour des opportunités locales

Par Raphael Okaingni

1542
A lire aussi