Reportage / Résilience économique Covid-19, le milieu rural ivoirien se réinvente pour survivre
- Publié le 03, aoû 2021
- ECONOMIE
Depuis la découverte du premier cas confirmé de Covid-19 en mars 2021 en Côte d’Ivoire, l’économie est en berne. Dans le monde rural, c’est le branle-bas. L’on ne sait plus à quel saint se vouer ! Et pourtant, il faut bien vivre… Dans le cadre du projet Recover Africa initié par Fairtrade Africa, une mission d’inspection a été diligentée sur le terrain du 22 au 28 juin 2021, pour un suivi-évaluation des producteurs bénéficiaires de ce projet. Du centre (Divo, Guitry, Djékanou et Yamoussoukro) au Sud-ouest (Gnato) en passant par l’Ouest (Duékoué, Banguéhi et Bloléquin) de la Côte d’Ivoire, dix (10) coopératives agricoles ivoiriennes ont été visitées et inspectées. Ce périple dans les méandres abyssaux de la Côte d’Ivoire a permis de toucher du doigt les stratégies de résilience mises en place par les personnes vulnérables vivant en milieu rural en cette période de crise sanitaire mondiale. Dans ce reportage, des récits inédits et pertinents les uns que les autres. Des femmes et des jeunes hommes se réinventent pour survire. (Reportage 1ère partie)
Du savon local et des volailles pour lutter contre la Covid-19
Située à 205 km au Nord d’Abidjan (capitale ivoirienne), la ville de Divo (région du Lôh-Djiboua) abrite la Coopérative SCOOPAKAM. Ce regroupement économique local se compose de onze (11) sections disséminées dans la région. Il est constitué de mille quatre cent vingt-trois (1423) membres et sept mille huit (7008) jeunes qui ont tous été touchés par le projet Recover Africa.
Le projet n’a démarré effectivement qu’en janvier 2021, au lieu de décembre 2020 comme prévu et a été mis en exergue à travers cinq (5) activités majeures à savoir la sensibilisation des membres contre le Covid-19, la micro-ferme, l’exploitation de manioc, le germoir (production de pépinières de banane par la méthode de Pif) et la fabrication de savon artisanal. Au total, la somme de dix huit millions huit cent soixante-douze mille six cent cinquante (18.872.650) Fcfa soit 28500€ a été repartie afin de financer ces différentes activités.
« Nous avons affecté 3 780 000 à la sensibilisation des membres de la coopérative et les populations en zone rurale, 5 096 000 pour la micro-ferme, 1 555 800 pour l’exploitation de manioc, 3 685 100 pour le germoir, enfin 4 022 000 pour la fabrication de savon artisanal », a confié Amani Amon Paul-Éric, responsable du projet au sein de la SCOOPAKAM.
S’agissant de l’activité de fabrication de savon artisanal (‘’Kabakrou’’), il a été confié à l’une des sections notamment l’Association des Femmes Unies de Kames opérant dans le village de Kames, composé de 2000 âmes et situé à 23 km de Divo. Ce sont cent-vingt (120) femmes, dont l’âge varie entre 35 et 50 ans, engagées dans le projet Recover Africa.
Sanfo Salimanta, présidente de l’Association des Femmes Unies de Kames, a fait savoir qu’avant le démarrage du projet Recover Africa, elle exerçait dans le domaine de la production et la commercialisation du manioc. « Les femmes de l’association et moi sommes intéressées au projet Recover Africa pour gagner un revenu plus consistant qui nous permettrait de combler nos insignifiants revenus issus de la vente de nos boutures de manioc », justifiera cette sexagénaire, entourée de ces associées qui s’étaient massées autour d’elle dans une concession assez rustique.
Aux dires de cette récipiendaire, c’est une somme de cinq cent (500 000) Fcfa (760€) en guise de financement qu’a reçu son association, dans le cadre du fonds d’assistance pour la fabrication de savon artisanal localement appelé ‘’Kabakrou’’. Après avoir reçu en main propre ce financement à la suite d’une formation en technique de fabrication de savon en février 2021, deux semaines auront suffi pour cette brave femme et ses collaboratrices pour fabriquer 19 sacs contenant chacun 300 morceaux de savons, soit une production totale de 5910 morceaux de savons et pour être vendu à 50.000 Fcfa (32.800€) le sac. Une fois, cette production commercialisée, dira-t-elle, ce sera une recette de deux cent vingt-cinq millions (125 000 000) Fcfa (190.545€) pour cette association.
« Pendant la période du Covid-19, nous avons respecté les gestes barrières. Ces restrictions en ont rajouté à la pénibilité du travail et nous avons réduit considérablement notre volume horaire. En raison du respect des mesures barrières, nous travaillons par petits groupes qui fonctionne en relais. Le nombre de jours dédié au travail dans la plantation a diminué mais la durée, elle, n’a pas changé. Pour l’approvisionnement en boutures, je devais me rendre à Guitry à 34 km de Divo et je dépensais beaucoup d’argent », a déploré cette productrice de manioc et d’ajouter sans ambages « Dans cette période d’incertitude provoquée par la pandémie, le projet Recover Africa est tombé à point nommé parce qu’il a favorisé la standardisation du travail, l’autonomie financière, la cohésion sociale, le développement endogène, une harmonie familiale, etc. Grâce à ce projet, je rêve de réinvestir mes avoirs en créant une plantation et m’acheter une maison. Je remercie sincèrement les structures GIZ et Fairtrade Africa pour cette opportunité que le projet m’a apportée. Je voudrais aussi que le projet Recover Africa se pérennise en touchant le plus de personnes vulnérables ».
Koula Awa (conseillère), Guiro Lisetta (membre) et Tchétché Sabine, entre autres bénéficiaires de l’Association des femmes unies de Kames ont profité de cette occasion pour rassurer les bailleurs de fonds quant à leur volonté d’utiliser à bon escient leurs retombées financières obtenues en acquérant des lopins de terre pour la création de plantation, la scolarisation des enfants, l’investissement dans des business locaux.
Visité sur l’emplacement de sa micro-ferme avicole, N’dri Konan Sylvain, l’un des trois cents (300) jeunes bénéficiaires du projet de la Coopérative SCOOPAKAM, a révélé avoir reçu un kit élevage de 12 reproducteurs à savoir 11 poules et 1 coq. Dans la perspective de conserver l’esprit et la vision du projet qui est de créer de pôles de développement locaux en réunissant des petits producteurs, a-t-il précisé, plusieurs groupes de cinq (05) jeunes ont été mis en place et ont disposé d’une mini-ferme avicole de cinquante-cinq (55) têtes de volailles et d’un bâtiment. Une activité communautaire qui mobilise 25 jeunes y travaillant à plein temps.
« Je suis planteur depuis 2011. Voilà 10 ans que je suis producteur de cacao. Je me suis intéressé au projet Recover Africa parce qu’il m’offrait une visibilité sur un autre domaine de l’agriculture : l’élevage. Je voulais m’investir dans l’aviculture mais je n’avais pas les moyens financiers nécessaires. Le projet proposait la production d’une variété de poulets, les poulets africains que j’ai toujours voulus réaliser pour des raisons essentielles : leur résistance, la qualité de leurs chairs, la qualité de leurs œufs, leur rapidité de la production et leur croissance rapide », a souligné ce trentenaire, marié et père de deux (2) enfants. La période marquée par le Covid-19 lui reste, dit-il, comme une arête en travers de la gorge. La peur panique entretenue par cette pandémie, accentuée par une pression psychologique due à l’application des mesures barrières a contribué, commente-t-il, à gangrener la situation économique et la production déjà chaotique.
« Au niveau de la production du cacao, j’ai été éprouvé par plusieurs difficultés notamment dans le cabossage des fèves. D’ordinaire, il me fallait mobiliser en une seule journée quarante (40) personnes et le tour était joué. Mais, avec la survenance de la pandémie, il me fallait séquencer cette action sur plusieurs jours et ne travailler qu’avec dix (10) personnes. Naturellement, cela a eu un impact considérable sur mes revenus de producteur de cacao qui s’est manifesté par des difficultés dans l’écoulement de ma production, l’approvisionnement en intrants et le ravitaillement… tout cela a été le fait du confinement d’Abidjan. Mes revenus mensuels ont drastiquement diminué à cause des problèmes de la commercialisation. Nos paiements au niveau de la coopérative ont été différés alors qu’il fallait faire face aux réalités quotidiennes. J’ai noté aussi un ralentissement de l’activité économique. On a été payé au prix fixé par le gouvernement mais il fallait attendre alors que les dépenses n’attendent pas », a-t-il dépeint un tableau sombre de la vie du producteur exacerbée par le monstre ‘’Covid-19’’.
L’arrivée du projet Recover Africa, reconnaîtra-t-il, a été une bouffée d’oxygène pour ces acteurs de l’économique rurale étreint par d’énormes problématiques. Il leur a permis d’obtenir des ressources additionnelles pour subvenir à leurs charges familiales, leurs besoins vitaux et financiers. « Dans le domaine agricole, le projet m’a permis d’ajouter une corde à mon arc : une ouverture et des connaissances tant théoriques que pratiques sur l’élevage des poulets africains. Au plan économique, il m’a permis de diversifier et d’accroître mes revenus avec mon entrée dans l’élevage, parce que ce type de spécimens se commercialise bien. Sans oublier qu’au niveau social, ce projet m’a permis de collaborer, travailler en équipe, avec d’autres jeunes qui partagent la même passion et la volonté de vivre décemment de leur métier d’agriculteur. Le projet est tombé à pic. On cherchait les moyens d’intensifier l’élevage de poulets africains, poulets locaux et une acquisition d’une technique originale pour promouvoir cette branche de l’aviculture et obtenir des revenus issus de cette activité secondaire pour financer l’achat des intrants pour soutenir notre activité principale (production de cacao) », a-t-il lâché fièrement, en laissant apparaître un rictus à la commissure des lèvres.
Évaluant arithmétiquement ses revenus aux termes du premier cycle de production annuelle et après la commercialisation des échantillons, pour un cheptel d’une cinquantaine d’individus, en raison d’un coût unitaire de quatre mille francs CFA, « ça fait quatre millions (4.000.000) de francs CFA (6000€) », s’est-il réjoui. Puis, ce producteur s’est mis à se projeter dans le futur : « À long terme, mon objectif est de produire 1000 poulets africains par an pour ravitailler le marché local (restaurants, hôtels et supermarchés…). Ainsi, je pourrai m’acheter des lopins de terres pour m’ouvrir à d’autres secteurs de l’Agriculture à savoir l’élevage de bovins ». N’dri Konan Sylvain n’a pas été avare en remerciements à l’égard du GIZ et de Fairtrade Africa. Il a vertement traduit sa gratitude aux donateurs avant d’inviter à une pérennisation du projet. « On attendait cette aubaine mais on ne savait pas par qui viendrait ce bonheur. Grâce au GIZ et à Fairtrade Africa, on peut vire autrement et rêver à vivre une existence pleine d’espoir. On souhaite que le projet Recover Africa se pérennise pour s’étendre à d’autres jeunes de Côte d’Ivoire. Avec ce projet, c’est la professionnalisation du poulet africain. C’est un métier subsidiaire mais grâce au GIZ et Fairtrade Africa, l’élevage de poulet africain peut devenir une activité principale comme les autres métiers », a-t-il souhaité d’une voix heureuse.
Le cap a été mis sur des sites expérimentales d’autres groupements agricoles où des surprises attendaient la délégation de Fairtrade Africa.
Par Patrick Krou