N’Guessan Brou Justin / Nous avions ¼ de pain comme nourriture par jour

N’Guessan Brou Justin est le président de l’ONG Aide aux Jeunes Migrants de Côte d’Ivoire (AJMCI). Il est âgé de 37 ans et volontaire OIM pour la sensibilisation contre la migration clandestine. Justin est vendeur de téléphones portables, ordinateurs et vêtements. Il dit avoir développé l’idée de la migration depuis la classe de 3ème. Témoignage !

Pourquoi avez-vous décidé de partir par la migration illégale ?

L’idée m’est venue quand mes activités ont commencé à basculer. Je ne pouvais plus joindre les deux bouts. Je ne pouvais plus payer ma maison, mes factures correctement. C’est ainsi que j’ai eu l’idée de sortir du pays.

Quel était l’activité qui vous tenait à cœur et le pays visé lorsque vous avez décidé de partir à l’aventure ?

J’ai décidé de partir à l’aventure dans le but d’élargir mes affaires. Puisque je vends des téléphones, des appareils, je voulais aller sur le terrain et voir comment procéder pour faire venir des marchandises, faire un grand magasin et accroître mon chiffre d’affaire. Le premier pays visé était d’abord l’Allemagne. Je voulais passer par la France et rentrer en Allemagne pour pouvoir me faire de l’argent et revenir investir au pays pour mes affaires. J’ai visé l’Allemagne parce que j’ai des amis qui y vivent et qui font venir des marchandises que je vends.

Parlez-nous des conditions de ce voyage ?

Le voyage n’a pas été du tout facile. Nous avons quitté la Côte d’Ivoire en passant par le Burkina Faso, le Niger pour affronter le désert et arriver en Algérie. De l’Algérie, nous avons rejoint la Libye où nous avons été emprisonnés à Garriane, dans la plus terrible prison.

Comment vous vous êtes retrouvés dans une prison ?

C’était le jour de la traversée et ils nous ont mis sur la méditerranée. Nous étions à Sabratha. De Sabratha en Italie, cela fait 3 heures. C’est le trajet le plus court et le plus sûr. Nous étions réunis à Sabratha et tout a mal tourné et les Asma boys (pirates) nous ont pris sur la méditerranée pour aller nous mettre en prison.

Comment se sont déroulées vos activités une fois sur les lieux ?

J’ai pris le car Rimbo qui m’a laissé à Elite qui fait frontière à l’Algérie et le Niger en croisant Tamanrasset, qui fait aussi frontière au Niger. C’est par le désert du Sahara que nous sommes rentrés par Tamanrasset en Algérie. En Algérie, je roulais un tracteur et cela m’a permis d’avoir un peu d’argent pour pouvoir continuer ma traversée.

Quel était votre état d’esprit quand vous quittiez Abidjan ?

Le fil de l’aventure a été beaucoup noué dès le bas-âge, depuis la classe de 3ème. Donc cela a fait qu’il n’y a pas eu de frustration, de peur. Je ne me suis pas senti autrement parce que j’avais l’esprit d’avancer, trouver un bon coin pour avoir de l’argent et subvenir aux besoins de ma famille. C’était ça ma priorité.

Comment étiez-vous traité en tant que migrant en Algérie ?

Les algériens restent tels qu’ils sont. Ils sont beaucoup racistes. Quand tu es dans un pays étranger, il faut savoir se comporter parce que ce n’est pas facile. J’arrivais à subvenir à mes besoins parce que j’avais un petit chargement, pour me faire à manger, payer mon loyer. En Algérie, les manœuvres sont payés à 2500 dinar et cela équivaut à 15.000 Fcfa. La nourriture n’est pas trop coûteuse, mais c’est une ville qui n’est pas facile quand tu n’es pas un enfant du pays.

Comment se fait le voyage de l’Algérie à la Libye ?

De l’Algérie à la Libye, le voyage ne s’est pas bien passé. Pour traverser la Libye en passant par Debdeb, nous avons croisé les Asma boys (pirates). Ils nous ont fait traverser le désert pour arriver au bord de l’eau. Là, nous avons passé un bon moment, 4 à 5 mois au bord de l’eau. Les Asma Boys (pirates) nous prennent sur l’eau pour nous mettre en prison et ils appellent les parents pour qu’ils envoient de l’argent. Nous qui n’avons pas de moyens, qui sommes sortis avec nos propres moyens n’avons plus eu le courage d’avancer. J’ai compris que ce que j’ai appris pendant le voyage, l’expérience acquise, peut me permettre d’être plus grand ici au pays.

Avez-vous été maltraités sur le terrain ?

Tous ceux qui sont passés par cette voie, ne diront pas le contraire ou qu’ils n’ont pas été maltraités. Nous étions en prison et pour avoir de la nourriture c’était très compliqué. La ration était très maigre. Nous avions un ¼ de pain ou un morceau de pain de 50 Fcfa ici en Côte d’Ivoire comme nourriture pour toute une journée.

Donc finalement comment se fait votre retour et votre réintégration en Côte d’Ivoire ?

Mon retour en Côte d’Ivoire s’est fait par l’OIM qui est venu nous chercher en Libye pour nous ramener au pays. La réintégration n’a pas été facile parce qu’il y avait des personnes qui tenaient des propos bizarres et qui me traitaient de paresseux ou de fainéant. Mais tout le monde n’a pas la même chance. J’ai compris que ce n’est pas tout le monde qui peut réussir en Europe. J’ai eu le courage de traverser le désert, de monter sur un bateau pour traverser la Méditerranée. Je n’ai jamais eu peur d’affronter la réalité, seulement que ça n’a pas été ma chance.

Votre message à l’endroit des jeunes ?

Je demande à mes frères et sœurs qui ont envie de sortir du pays, qui veulent immigrer, aller à l’aventure, de partir dans de bonnes conditions. Allez dans les ambassades pour rencontrer les autorités et faire des papiers pour suivre les normes et avoir votre visa ou les autres documents pour voyager. Évitez la migration irrégulière parce qu’il y a trop de choses qui se passent à l’extérieur. Je conseille à mes frères noirs d’éviter les pays du Maghreb.

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Par Raphael Okaingni

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