Nadège Coulibaly-CNHD / Nous voulons célébrer toutes les valeurs ivoiriennes de leur vivant

Nadège Coulibaly est la présidente exécutive de la Commission Nationale d’Hommage aux Doyens (CNHD). La CNHD est une structure qui entend reconnaitre, de leur vivant, la valeur de toutes les personnes qui ont contribué à quelque niveau que ce soit au développement de la Côte d’Ivoire. Infos d’ivoire est allé à sa rencontre pour vous. Interview !

Déjà, que doit-on comprendre par CNHD ? Vos motivations ?

La CNHD c’est la Commission Nationale d’Hommage aux Doyens. Cela veut simplement dire que nous avons décidé d’honorer les personnalités qui ont marqué la vie scolaire, estudiantine, moderne, professionnelle, sociale, religieuse… sur tous les plans et ayant fait valoir leur droit à la retraite. Nous ne célébrons que tous ceux qui ont fait quelque chose d’envergure nationale comme internationale et que l’Etat reconnait publiquement. C’est ceux-là que nous célébrons. J’insiste pour dire que ce sont les gens qui auront vraiment fait valoir leur droit à la retraite. Parce que nous ne voulons pas célébrer des gens qui sont en activité pour ne pas créer de confusion politique. Donc nous ne célébrons que ceux, comme on le dit, qui sont au placard. Nous voulons leur donner une dernière vive reconnaissance de la nation, pour qu’ils se sentent heureux à titre anthume (costume) avant leur départ pour l’au-delà. Et ce à partir du troisième âge.

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Vous dites vouloir mettre fin aux hommages à titre posthume. Qu’est-ce que cela sous-entend, sachant que la mort n’est pas quelque chose de maîtrisable ?

Bien-sûr, on ne sait pas à quel moment chacun de nous doit partir de la terre. Mais nous ne prendrons que des gens qui sont à la retraite et qui vivent encore. Nous avons ceux du troisième âge et même on parle du quatrième âge. Mais à tout moment que quelqu’un aura fini de faire son service et qu’il fait valoir son droit à la retraite, il fait de facto partie de nos modèles à célébrer.

En quoi consisteront ces hommages ?

Avant de parler du contenu, je tiens d’abord à dire que nous avons un principe fondamental selon nos règles et nos statuts. Une fois que nous choisissons une personne, le ministre en charge du domaine dans lequel le récipiendaire a exercé est d’office le président d’honneur du comité d’organisation.

Je saisis l’occasion pour répondre à la question sur notre bilan. Nous avons déjà célébré le professeur Hyacinthe Sarassoro, qui était un éminent professeur de droit. Nous l’avons célébré en 2018 et nous avons eu comme président d’honneur du comité d’organisation la secrétaire d’Etat chargé des Droits de l’Homme, Aimée Zébéyoux. Elle a compris le sens de notre action et a accepté de façon spontané. Elle était la présidente d’honneur parce qu’on célébrait un éminent professeur de droit, qui était avocat émérite et magistrat hors-pair. Je saisis l’occasion pour rendre un vibrant hommage à cette dame, aujourd’hui conseillère particulière du Président de la République, chargée des Droits de l’Homme. Les archives de cette 1ère célébration de Hyacinthe Sarassoro sont aujourd’hui disponibles.

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Deuxièmement, nous avons célébré l’ancien ministre de l’Education Nationale sous Houphouët-Boigny, Lambert Amon Tano. Alors Kandia Camara, ministre de l’Education Nationale en fonction en son temps, a accepté d’en être le président d’honneur du comité d’organisation. A elle aussi, je rends des hommages pour avoir compris très tôt notre initiative. Voici comment nous faisons, donc on ne peut pas célébrer une personnalité et ignorer le ministère dans lequel la personnalité a exercé. Nous avons déjà eu deux expériences en 2018 et en 2019. En 2020 nous n’avons rien fait parce qu'il y avait la maladie à Coronavirus.

Parlez-nous du contenu de ces hommages !

Dans la matinée, il y a une conférence publique sur la vie du célébré à l’Hôtel Ivoire (avec qui nous sommes en partenariat). Cette conférence est assortie à des œuvres littéraires s’il en a écrit. Les invités viennent s’abreuver de ce que la personne célébrée a pu laisser comme trace, afin de s’en servir pour évoluer. Pour le Professeur de droit, nous avons pris les étudiants de la magistrature, de droit, tous ces gens-là étaient là avec les journalistes et les documentalistes afin de s’abreuver du secret de la réussite. Pour Amon Tano nous avons eu recours aux enseignants, aux élèves, qui sont venus pour apprendre ce que le vieux savait faire et a pu faire. Avant le Jour-J, nous allons promener notre caméra pour recueillir les témoignages sur l’existence du récipiendaire afin de monter un film de 26 minutes que nous diffusons lors du dîner gala. C’est un dîner gala de 300 couverts qu’il offre gracieusement à tous ses amis et connaissances.

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Après les discours et la projection du film, il est interrogé sur le plateau devant ses pairs. Il exprime ses sentiments sur l’activité en voyant ses enfants et amis faire des témoignages sur sa vie. Mais, il faut noter que le film est gardé secret jusqu’au jour de la projection. Il y a aussi des tickets de tombola, la vente des œuvres aux enchères. Après, il reçoit un trophée. Le lendemain, une partie est faite dans son village natal avec des dons de médicaments au centre de santé et de soins gratuits offerts aux populations. Le soir, il y a un concert gratuit qu’il offre lui-même à ses parents. Le dernier jour après le concert dans son village, nous l’accompagnons pour prier, peu importe sa pratique religieuse, pour rendre gloire à Dieu. Nous recueillons tous les documents, discours et autres témoignages, nous les transcrivons en lettre et nous faisons un livre album que nous lui remettons à l’occasion d’une autre cérémonie. Voici en quoi consiste la cérémonie d’hommage.

A ce jour, combien de personnes avez-vous déjà recensé pour des hommages futurs ?

Il y a une commission d’enquête qu’on appelle la commission scientifique, qui va dans les armoires et dans les archives de la Côte-d’Ivoire pour chercher tous ceux qui ont contribué au développement harmonieux, à la civilisation et aujourd’hui à la modernisation de la Côte-d’Ivoire. C’est-à-dire ceux qui étaient au premier plan de la lutte de l’émancipation que ce soit de la femme, de l’ivoirien comme de l’Africain. Nous avons bien voulu honorer tous ceux qui sont au premier plan, ceux que nous reconnaissons qui sont encore vivants et qui sont à la retraite. On n’a pas une liste exhaustive à dresser seulement que chaque année nous devons, selon nos maigres moyens, célébrer au moins une personnalité. On aurait souhaité célébrer autant que nous pouvons, mais les moyens nous font défaut donc on met l’accent au moins sur une personnalité chaque année. Nous menons les enquêtes de façon minutieuse et nous avons une commission scientifique qui fait son travail et nous rend compte après des résultats.

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Comment comptez-vous obtenir les finances pour toutes ces actions ?

Nous avons besoin que l’Etat nous soutienne, nous avons besoin que l’Etat s’en approprie. C’est pour cela que nous associons toujours l’Etat à cette cérémonie. Il faut aussi noter que l’ONG vit de dons et de legs, mais nous sollicitons les personnes de bonnes volontés, nous accourons aussi vers le sponsoring. Les entreprises qui comprennent très bien l’utilité de notre action, acceptent de nous accompagner et de nous soutenir. Nos membres également font des cotisations exceptionnelles chaque mois et pour chaque activité. Voilà comment nous fonctionnons. Chaque année, nous avons beaucoup de personnes qui méritent d’être célébrées, mais nos faibles moyens nous obligent à faire une sélection.

Prenez-vous en compte les hommes politiques dans votre canevas de personnes à célébrer ?

Nous prenons tous ceux qui ont eu de la valeur et qui sont à la retraite. Les hommes politiques ont quand même des formations, des activités professionnelles. Tout homme politique a une profession donc nous tenons compte de la profession de la personne et de ses valeurs. Si quelqu’un a exercé, même comme balayeur, et qu’il est reconnu comme un exemple, avec des gratifications a un plus haut niveau, par exemple comme le meilleur balayeur de Côte-d’Ivoire. Nous nous devons de le célébrer à sa retraite. Je tiens à préciser qu’avec les artistes c’est difficile parce qu’au moment où nous pensons célébrer, un artiste vous le voyez le lendemain en train de tourner un film. Je ne vais pas citer de noms, mais nous étions sur la piste de certains doyens qu’on pensait à la retraite, au moment des enquêtes on nous fait savoir qu’ils sont en tournage. On peut comprendre parce que plus l’artiste vieilli, plus son image se bonifie et plus il devient rentable.

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Avez-vous quelque chose à ajouter sur la CNHD, dont on n’a pas parlé ?

La CNHD, nous l’avons créée parce que nous avons constaté qu’il avait un vide. En Côte-d’Ivoire quand vous voyez la nation rendre hommage à quelqu’un qui n’est autre que le Président de la République, c’est que cette personne est décédée. Nous disons NON. Nous voudrons célébrer les gens à titre anthume (costume), de leur vivant et non pas quand ils sont morts. Il y a à peine quelques semaines, nous avons rendu hommage à Charles Konan Banny et nous l’avons fait pour plusieurs personnalités après leur décès. Nous voulons que l’Etat accepte avec nous de célébrer les gens à titre costume. Nous devons partir ensemble pour repérer des valeurs, des personnalités du troisième âge et les célébrer. Nous demandons à l’Etat de nous accompagner. On a eu la chance d’avoir le vice-président d’alors comme parrain, qui a promis avec les autres ministres présents de l’inscrire dans l’agenda. Nous y travaillons.

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Que voulez-vous dire en terme de conclusion ?

On nous demande pourquoi nous ne faisons pas 2 ou 3 célébrations par an. Nous avons dit que ce sont les moyens qui nous manquent. Si nous avons les moyens, on peut célébrer, quatre ou six personnes par année ou même chaque mois. Autant, l’Etat célèbre les prix d’excellence chaque année avec 85 personnes, on peut aussi célébrer chaque année 100 personnes qui ont apporté de la valeur à l’Etat de Côte-d’Ivoire à titre anthume (costume). Nous rendons hommage au DG de la CNPS et de la CGRAE, qui paient ces gens qui sont à la retraite, mais qui nous soutiennent dans le projet de célébration de ces valeurs à titre costume. Nous réitérons nos remerciements à Aimée Zébéyoux et à Kandia Camara, qui aux premières heures avaient compris notre action ; sans oublier le Chef de l’Etat qui a accepté que ses ministres se joignent à nous pour valoriser ces personnes. Merci à Infos d’Ivoire de nous avoir donné l’occasion de parler de ce projet auquel nous tenons.

Par Raphael Okaingni (coll Konan K. Toussaint)

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