Hamed Parker / J’ai passé 10 ans dans l’attente pour rentrer en Europe avec 3,5 millions investis

Parti depuis 10 ans à l’aventure en empruntant le chemin de la migration irrégulière, Bakayoko Ousmane dit Hamed Parker est rentré en Côte d'Ivoire en 2018. Agé de 31 ans, il est spécialisé en peinture et décoration. Porte-parole des migrants au salon de la réintégration des migrants en 2019, il estime son investissement total à 3,5 millions Fcfa. Témoignage !

 

À quel âge avez-vous nourri l'idée d'immigrer ? 

Depuis l'âge de 16 ans, j'ai nourri l'idée de partir à l'aventure et découvrir mon eldorado. Quand j'ai eu 18 ans, j'ai décidé de me battre et réussir par mes propres moyens, parce que déjà orphelin de mère, les conditions de vie étaient difficiles.

À 18 ans, quels sont les problèmes qui peuvent pousser à développer l'idée d'immigrer ? 

Comme je l'ai dit, je suis orphelin depuis l'âge de 6 ans. La situation que je vivais avec les autres m’a poussé. Ils me comparaient à leurs enfants. Ils envoyaient facilement leurs enfants en Europe. Donc quand je voyais cela, ça me faisait un peu rêver. Aussi, les grands frères qu'on rencontrait dans les Maracaña nous donnaient l'envie de partir. Cela a commencé à me hanter l'esprit et donc quand j'ai eu la possibilité, je suis allé pour découvrir.

Mais pourquoi la voie clandestine ? 

J'ai opté pour la voie clandestine parce que je n'avais pas beaucoup de moyens financiers pour prendre la voie aérienne et remplir les formalités. Plus jeune, il fallait que je me débrouille avec ce que j'avais ou ce que j'allais avoir. En tant qu'orphelin, je comptais que sur Dieu et voir ce que je pouvais faire pour pouvoir avancer.

Avant le départ, quel pays et quelle activité aviez-vous comme objectif ? 

Le pays qui était l'objectif pour moi, était la Tunisie. Je dis la Tunisie parce que là-bas la peinture était bien avancée. J'avais ces facultés dans mes petits jobs. Je me disais qu’étant là-bas déjà, il était encore facile de rentrer en Italie. La Tunisie était donc la base et après aller en Italie. Comme activité, c'est la peinture que je sais faire donc je partais pour faire la peinture et montrer mon travail aux gens.

Parlez-nous des conditions de votre départ ?

La traversée pour moi s'est fait dans les camions d'oignons. Nous étions camouflés à l'intérieur. Nous étions au nombre de 4 personnes avec des gens que je ne connaissais pas. Il y avait des Burkinabè, Maliens et Ivoiriens. Nous avons pris le véhicule en Côte d'Ivoire et nous sommes passés par le Burkina Faso pour arriver au Mali. Du Mali, nous sommes arrivés au Niger. Les premières frustrations que j'ai eues, c'est au Niger à Élite où nous avons assisté à une tempête de sable mouvant (pluie de sable). Dieu merci, nous avons dormi dans les camions. Le sable envahissait tout. On entendait seulement les voix, mais on ne voyait pas les gens. Cela a duré deux jours. Mais pendant ces deux jours, ceux qui étaient habitués allaient faire des courses. Ils faisaient les commissions pour nous. Après ces deux jours, il y a eu beaucoup de décès. Il y a eu des mamans, des jeunes, ils sont tous morts. Ça été ma première peur, mais je n'ai pas reculé. J'ai pris mon souffle et nous avons chargé de l'eau comme on pouvait pour attaquer le désert parce que la destination c'était Tamanrasset, la première ville de l’Algérie. Quand nous sommes arrivés à Tamanrasset, nous sommes rentrés dans les ghettos (les quartiers noirs). De là-bas, j’ai évolué jusqu’au Maroc et du Maroc en Tunisie. En Tunisie, j’ai commencé à faire de petites activités jusqu’au point où j’ai pu économiser. Ce que j’ai économisé m’a permis de rentrer en Libye avec un autre groupe que j’ai rencontré. En Libye, nous avons tenté trois fois de traverser par les bateaux (lampa-lampas) et trois fois nous avons échoué.

Dans quel pays avez-vous passé les 10 ans ?

10 ans, c’était au cours de toute l’aventure. Pendant ces 10 ans, je faisais des activités de la peinture. Je faisais tout ce que je trouvais sous la main et qui allait me rapporter de l’argent et me permettre de continuer l’aventure.

Comment se fait finalement votre retour en Côte d’Ivoire ?

Mon retour en Côte d’Ivoire s’est fait par l’OIM parce que dans les campos (campements de migrants), nous étions avec les frères de tous les pays d’Afrique. Là-bas, nous sommes vendus comme des esclaves. Cela veut dire qu’on te confie à quelqu’un, tu lui appartiens. Tu prends les conditions de chez lui. S’il dit que tu vas travailler, tu vas boire de l’eau une fois par jour ou tu as droit à un repas par jour, c’est ce que tu auras. C’est par ce canal que nous avons eu accès à l’OIM, parce que les ‘’frères’’ en parlaient. Quand nous avons eu accès à l’OIM, ils ont permis qu’on rentre chez nous tranquillement sains et saufs.

Qu’est-ce qui vous a motivé à rentrer finalement ?

Je dirai le temps que j’avais déjà mis là-bas, la vie était devenue la routine. Quand tu vas dans un endroit, ce n’est pas bon de rester très longtemps. Si je n’arrive pas où je vais, au temps me retourner pour mieux avancer. C’est dans cette optique que j’ai décidé volontairement, avec des ‘’frères’’ que j’ai pu sensibiliser. Nous avons fait deux vagues d’arrivée. Nous étions environ 700 et plus. Dans l’aventure, je ne gérais pas avec mes frères ivoiriens. Je gérais avec d’autres personnes que je considère comme étrangères. Parce que si ton frère connaît ta langue et la langue que tu parles, il va aller dire au chairman (le patron) de t’utiliser parce qu’avec toi il peut avancer dans sa course. Toi tu es jeté, mort ou pas. A toi de voir et te mettre dans la main de Dieu pour ton destin. L’homme est le premier ennemi de l’homme. Même s’il mange avec toi, il est prêt à t’empoisonner dans le repas, s’il sent qu’avec toi il peut avoir ce dont il a besoin pour avancer.

Comment s’est faite votre réintégration après le retour, avec les regards et autres doigts accusateurs ?

Après 10 ans passés à l’aventure, la réintégration s’est très bien passée parce que, ce que l’OIM nous avait promis, elle l’a mis en place. Quand nous sommes rentrés, nous avons été contactés pour le projet chantier école, où nous avons fait la réalisation d’une école à Attécoubé. Après, nous avons eu d’autres formations que je suis activement comme migrant et comme messager. C’est dans cette lancée que nous essayons de mener le combat.

Quel est le message que vous pouvez donner aux jeunes qui rêvent encore de partir par ce chemin ?

Le conseil que je donne à mes sœurs et frères qui murissent toujours l’idée, je leur dirai que migrer c’est bon, mais il faut migrer dans le bon sens. Parce que la migration irrégulière est non seulement coûteuse, mais elle est aussi dangereuse. S’ils décident de partir, alors qu’ils partent dans le sens légal. Parce qu’il y a des structures qui sont là. Que tu aies des documents ou non, elles peuvent te renseigner et si tu muris l’envie d’y aller, elles te donneront les conditions. Beaucoup sont partis par avion, mais arrivé en Tunisie ou au Maroc, il y a certains que nous avons rencontré dans les mêmes conditions. Ils n’ont pas été bien renseignées à la base. L’Europe n’est pas le Paradis, on peut se réaliser ici. Avant de partir, il faut savoir comment partir. Ce que tu sais faire, c’est ce que tu peux prouver là-bas. Il ne faut pas partir pour aller regarder le pays. C’est le même pays, c’est le même monde. Ce sont les mêmes horizons.

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Par Raphael Okaingni

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