Drame pendant le tournage d'un clip de Serge Beynaud / La mort du danseur Dada met à nu l’univers de la danse ivoirienne
- Publié le 15, avr 2023
- ARTS - CULTURE & DIVERTISSEMENT
Doun Christian Daniel alias Dada, jeune danseur-interprète sélectionné pour participer à la réalisation d’un clip de l’artiste chanteur Serge Beynaud, est mort le mercredi 12 avril 2023 aux environs de 15h au CHU d'Angré après avoir été électrocuté lors dudit tournage. Cette mort met à nu les conditions difficiles des danseurs et le manque de vigilance des réalisateurs et des techniciens lors des plateaux. Contribution !
Déjà, signalons qu'il y a quelques années, Soxy la Magie et Matrix, deux danseurs de Dj Débordo, avaient trouvé la mort lors d’un trajet pour honorer une prestation. Ils sont morts et le silence a continué son chemin meurtrier sans être inquiété. Toujours, les danseurs et les chorégraphes continuent de collaborer avec des artistes sans exiger une sécurité sociale et juridique. Le milieu de la danse a besoin d’être assaini. Les artistes chanteurs et les opérateurs culturels doivent signer des contrats formels qui permettront aux chorégraphes et danseurs d’avoir des garanties sur leurs rémunérations et leurs protections à partir d’une assurance. En vérité, le milieu de la danse en Côte d'Ivoire a besoin d’être assaini. Comme Papa Wemba, Dada, l'un des meilleurs danseurs ivoiriens perd la vie dans l'exercice de ses fonctions à cause d'une faute technique. Cette situation permet de s’interroger sur le statut des chorégraphes et danseurs en Côte d'Ivoire.
Quelle est la structure habilitée à gérer et à protéger les danseurs et chorégraphes ? Si elle existe, alors elle est invisible. Si elle n’existe pas, il va falloir la penser. Le débat sur le statut de l’artiste doit entrer dans sa phase opérationnelle pour rendre formel les prestations des artistes et dans le milieu de la danse, il y a une urgence. Dans le milieu de la musique et de la danse encore, il faut véritablement régler leur gestion. Comme le dit mon oncle Charles ELIAM, le milieu est têtu. Et c’est vrai. Le même désordre qui a dérouté les danseurs hier n’à servi de leçon à personne.
Le drame de la passion et de la responsabilité
Beaucoup de jeunes chorégraphes et danseurs, passionnés, cherchent à améliorer leurs conditions de vie. Ce, à travers des opportunités de clip, de concert ou encore de shoot. Chose qui n’est pas toujours facile vue la rareté des scènes. Il faut se battre pour être sélectionné à la seule occasion présente depuis 3 mois. Nos danseurs tanguent et frappent à toutes les portes pour chercher de quoi survivre et échapper également aux injures et moqueries des amis et même des familles pour qui la danse n'est pas un métier mais un jeu et un passe-temps.
« Ils iront jusqu'à vous dire que vous faites ce que 1000 millions de personnes savent faire ; la danse ». Être sélectionné permettra d’avoir aux moins 100.000 francs. Ce n’est pas avec tous les artistes que cette somme est possible. En dehors des artistes Meiway et Serge Beynaud, quels sont les artistes musiciens en Côte d’Ivoire qui paient convenablement les danseurs ? Les deux artistes-chanteurs cités paient bien leurs interprètes-danseurs. C’est cette situation qui fait tant courir les danseurs vers Serge Beynaud et Meiway. Ils font donc partie de l'exception. Malheureusement, c’est sur la scène de Serge Beynaud qu’a lieu le drame. Il faut en parler pour sauver d'autres vies en rendant les conditions des danseurs et chorégraphes meilleures.
Pouvons-nous parler de fautes professionnelles de l’équipe technique ?
Des expressions corporelles et enchaînements, des phrases pratiques, des actions mal maîtrisées ou mal gérées peuvent devenir des risques tout simplement parce que le plateau de tournage n’est pas adapté et manque le plus souvent d’éléments primaires pour le tournage. Dans notre cas présent, les fils électriques étaient-ils protégés ? Le contact entre les lumières des projecteurs et la combinaison des outils du décor de fond ont-ils créé ce dégât ? Devrons-nous nous poser des questions sur la qualité de la source électrique ? Est-ce que le dispositif électrique était protégé ? Le danseur « en sueur » était-il en contact avec des fils électriques écorchés ? Y’avait-il une issue de secours ? La structure est- elle qualifiée pour exercer ce genre de travail ?
Autant de questions qui montrent combien un plateau de tournage doit faire l’objet de professionnalisme pour la sécurité des acteurs sur scène. Toutes ces interrogations toquent encore à la porte de notre esprit critique et nous incitent à réclamer une enquête sérieuse pour que lumière soit faite afin de prévenir d'éventuels dangers.
Des tournées sans contrat pour des danseurs et chorégraphes
Certains se demandent si la danse est un métier ? Eh bien oui. Ce métier très difficile allie domaine cognitif, expression artistique et domaine psychomoteur. Le danseur doit sans cesse entretenir son cerveau, son esprit et son corps. C’est une fonction louable qui malheureusement est reléguée au second rang.
Aujourd’hui, malheureusement, c'est l'enveloppe corporelle que le grand public juge au lieu d'analyser aussi et surtout la symphonie neuronale produite par la matière grise qui met le corps de ce danseur en mouvement.
La danse en Côte d'Ivoire est un ''djassa'', un marché noir où chacun vient et fait ce qu'il veut. Sous d’autres cieux, les danseurs ont la passion, la garantie, le contrat et l’assurance. Ici, ils se contentent de la passion et des miettes. Il y a ici en Côte d'Ivoire et dans ce 21ème siècle, des danseurs ou chorégraphes qui n’ont jamais signé de contrat écrit encore moins parler d’assurance. À vrai dire, rares sont les danseurs qui signent des contrats clairs. Le plus souvent, ils travaillent sur la base d'un contrat verbal dont ils ignorent eux-mêmes les tenants et les aboutissants du système. L’analphabétisme fait sa danse dans ce secteur et c'est dommage pour les acteurs. La majeure partie des danseurs boudent la raison et préfèrent embrasser la passion. Les danseurs qui ont des assurances sont aussi rares que les pierres précieuses.
Pourtant pour un artiste sérieux et avec un staff dit professionnel, dans un coin de sa tête doit sonner la protection des danseurs en termes de contrat et d’assurance. La pire des choses est de voir des artistes chanteurs professionnels baigner dans l'amateurisme. La définition que nous donnons au terme amateur dans notre contexte n’a rien à voir avec le talent ni la passion mais plutôt un manque de contrat et autres garanties élémentaires pour les danseurs. Et quand le drame advient, le porteur de projet et les interprètes se regardent et s'accusent ; à qui la faute ? Combien de danseurs ont perdu la vie aux côtés de leurs artistes en Côte d’Ivoire ? Combien de danseurs traînent aujourd’hui des handicaps pour avoir eu des fractures sur scène et des problèmes respiratoires après des spectacles ? Et aujourd’hui comment vont-ils ? Il est clair que les danseurs et chorégraphes ont du talent. Tous issus de compagnie de danse et qui ont déjà fait leurs preuves. Malheureusement les crises de leadership d’hier dans le milieu de la danse en Côte d’Ivoire existent encore.
La division des Fédérations de Danse en Côte d’Ivoire
La Danse en Côte d'Ivoire rythme et rime avec le désordre et la misère. Le secteur de la danse est un secteur précaire qu'il faut absolument assainir. Il faut le dire. Et le dire, ce n'est insulter personne. Nos fédérations doivent normalement être plus visibles et efficaces. Mais où sont-elles ?
Malheureusement, la danse en Côte d’Ivoire rime avec la division et la mésentente. Le flou qui domine l’univers de la danse en Côte d'Ivoire n'aide pas vraiment les acteurs de ce secteur à faire face à leurs besoins physiologiques. La preuve, pour des incompréhensions, il existe deux fédérations de danses en Côte d’Ivoire. Oui, deux fédérations dans un seul pays et pour la même corporation aussi fragile que la danse et son industrie. Et au lieu de les unir pour la bonne marche de la danse, des intellectuels ont soutenu cette division en avançant des prétextes fallacieux. Aujourd’hui, quel véritable bilan pouvons-nous faire de l’existence de ces deux fédérations en termes d’actions ?
La réconciliation est la chose la plus facile à faire. Elle est seulement difficile pour ceux qui ont des intérêts personnels et machiavéliques. Dans tout cela, l’avenir des passionnés ne peut être qu'un rêve ou une vision ambiguë et non un métier noble. Les soi-disant grandes figures de la danse en Côte d'Ivoire préfèrent se pavaner sur les chaînes de télévision et de radio pour vanter des prouesses qui en vérité n'apportent pas grand-chose à l’univers de la danse. Il faut chercher à panser les plaies de ce secteur fragile. Une seule hirondelle ne fait pas le printemps. L’idéal est de tirer les autres vers le haut et non rester seul en haut comme ‘’Adama Nator’’. Nous vivons aujourd'hui l'une des conséquences de ce désordre profond.
Le Ballet nationale existe ? Des compagnies de danse en chute libre
Existe-t-il véritablement une politique de la danse en Côte d’Ivoire ? Si oui, il faut la rendre beaucoup plus visible, sinon pour l'heure les initiatives de promotion de la danse restent tristes et moroses. C’est vrai que Vacances Culture, Variétoscope et Wozo Vacances sont les plus vus mais la danse ne se limite pas qu'à ces concours et émissions de divertissement. Il est clair que les danseurs et chorégraphes ivoiriens ont du talent. Tous issus de compagnies de danse et qui ont déjà fait leur preuve soit à Variétoscope ou Wozo Vacances. Certains tirent leur apprentissage de la scène à l’étranger.
Aujourd’hui, les compagnies de danse sont vides de danseurs et de chorégraphes. Allez au Village Kiyi, au Djolem, au Lakimado, à l’Edhec, au Bozaor ou encore au Ballet national, pour ne citer que ceux-là, et vous verrez le niveau de la danse en Côte d’Ivoire. Certaines des scènes de ces compagnies ou écoles de danse ne sont occupées que le weekend. Ce n’est pas la faute des écoles ni des fondatrices ou fondateurs. Les garants administratifs de la danse dans le passé ont tué la danse en Côte d’Ivoire. Les grands festivals de danses ont disparu.
Le MASA doit relever la danse en Côte d’ivoire. J’allais dire un spécial MASA pour réveiller les expressions artistiques en Côte d’’ivoire. Il nous faut créer les circonstances de valorisation de nos compagnies par des subventions. Les écoles, centres et compagnies ont besoin d’exister et ce, pour l’image de la Côte d’Ivoire artistique. Nous demandons au ministère de la culture d'aider les compagnies de danse à être prises comme des PE (Petites Entreprises) ou une TPE (Très Petites Entreprises). Elles doivent être gérées par des professionnels en gestion et non par les artistes eux-mêmes.
À la suite de ce drame…
Le Ministère de la Culture et de la Francophonie doit obliger les artistes à déclarer les danseurs et le(s) Chorégraphe(s) dans des organismes agréés pour la protection des interprètes et des Chorégraphes. L'Art seul ne suffit pas, il a besoin d'être accompagné par d'autres compétences. Les danseurs ne doivent plus être les esclaves modernes de nos scènes actuelles. L'industrialisation de ce secteur passe aussi par le toilettage de ses fondamentaux.
Christian Guehi Hervé
Critique d’art et journaliste culturel
Lauréat du Grand Prix de la critique d’art en Afrique
guehichristianh@gmail.com
N’Dri Mathieu Kouadio
Critique d’art
Conseiller d’Actions Culturelles
Spécialiste en Médiation Culturelle/ Art-Thérapeute Certifié
mathieukouad@hotmail.fr