Consommation du tabac / La mort servie comme du pain

Au regard de la croissance du tabagisme en Côte d’Ivoire, avec plus de 9111 cas de décès, selon les chiffres de 2018, l’Etat a adopté la loi N° 2019-676 du 23 juillet 2019 relative à la lutte antitabac. Dans le cadre de la promotion de la lutte antitabac, Infos d’Ivoire a rencontré pour vous Dr Nestor Koffi, médecin de santé publique, chef du service Information-Éducation-Communication du Programme National de Lutte contre le Tabagisme, l’Alcoolisme et Autres Addictions (PNLTA), une structure sous tutelle du ministère de la Santé et de l’Hygiène publique. Infos d'Ivoire vous livre ce Dossier sur le Tabagisme. 

Quelles sont les prérogatives ou les missions du PNLTA ?

Les missions du Programme National de Lutte contre le Tabagisme, l’Alcoolisme et Autres Addictions (PNLTA) sont de réduire la mortalité et la morbidité liée à toutes les addictions que le PNLTA a à charge. C’est-à-dire toutes les pathologies liées au tabagisme, l’alcoolisme, la toxicomanie. Ce, à travers des activités préventives, curatives et promotionnelles.

Vous estimez que la mention ‘’Abus dangereux pour la santé’’, portée sur les paquets de cigarettes est une mention trompeuse. Pourquoi ?

Ce sont des assertions fallacieuses, farfelues et erronées parce qu'en réalité, cela ne veut rien dire. Au niveau du tabagisme, on ne parle pas de consommation abusive mais plutôt d’usage. Avec une demi cigarette, on peut provoquer une crise d’asthme chez quelqu’un pendant qu’un autre peut finir un paquet de cigarettes et ne rien avoir. Où se trouve donc l'abus ? En matière de tabagisme, il faut être honnête. C'est le produit lui-même qui pose problème, parce que c’est un poison. Tabac égale à poison. Quel est ce produit qui tue la moitié de ceux qui le consomment ? Et qui est à portée de main, en circulation libre ? La cigarette est un poison qui est dans le quotidien de l'homme. C’est la mort vendue comme du pain à la population.

Dr Koffi Nestor, Information-Education-Communication du PNLTA

Il y a une loi qui interdit la vente en détail de la cigarette, dans les établissements publics, les écoles et alentours. Qu’est-ce qui est fait à votre niveau pour que cela soit respecté ?

La lutte contre le tabagisme doit être l’affaire de toutes les corporations. Ce n'est pas une lutte de médecins, ni du PNLTA, mais une lutte qui concerne toute la société. La responsabilité des journalistes est de dire aux populations que la cigarette est un poison. Quand on interdit la vente au détail de la cigarette, c’est pour réduire au minimum, l’accessibilité de ce produit à tout le monde. La lutte a besoin de mesures de dissuasion des fumeurs et cela passe par l’engagement de tout le monde. Il appartient aux forces de l'ordre d’appliquer les mesures prises pour la lutte. Mais, il faut également que tout le monde s’y mette pour montrer le retour néfaste de la cigarette sur les populations. Chaque individu doit pouvoir jouer ce rôle pour que les lignes bougent.

Les malades du tabac font l’objet de prise en charge. Comment se fait-elle ?

Ces personnes, on les appelle des sujets tabagiques, ils n’ont pas demandé à être dépendants du tabac. L’élément fondamental de la prise en charge est la volonté. C’est quelque chose de difficile à avoir auprès des gros fumeurs. Quand le sujet vient se faire soigner de lui-même, tout est facile pour son traitement. Dans la prise en charge, la première chose à faire est l'entretien motivationnel avec des astuces et techniques pour susciter l'envie d’arrêter de fumer. Il faut déplacer le centre d’intérêt qui est la cigarette, vers d’autres choses qui sont plus bénéfiques pour lui, comme sa famille, ses enfants. Il y a aussi l’assistance médicamenteuse où le sujet est suivi par un médecin, avec qui il est en étroite relation. Il faut également qu’il ait un accompagnement au niveau de sa communauté ou de son entourage propre et immédiat.

Les médicaments dans ce type de traitement sont-ils pris en charge par le PNLTA ?

Le PNLTA ne prend pas en charge les médicaments. Mais certains produits sont mis à disposition dans les centres de santé. Et il y a d’autres charges qui reviennent au sujet lui-même. Cela fait partie de ses efforts personnels.

Dr Ernest Zotoua, Directeur du PNLTA

Quelle est la masse budgétaire dont dispose le PNLTA pour mener toutes ces missions ?

Le PNLTA est une structure étatique qui s’occupe du tabagisme, de l’alcoolisme, mais aussi de la toxicomanie. Nos activités sont nombreuses et le champ d’action s’étend sur l’ensemble du territoire national. Nous sommes censés couvrir toutes les directions départementales de la santé. Les moyens ne sont pas suffisants, mais nous faisons l’effort. Nous travaillons avec les moyens que nous offre l’État et les organismes publics. C'est là que nous avons besoin des ONG nationales et internationales, des communicateurs, parce que la charge de travail est énorme pour ce dont nous disposons comme budget. Le problème est que nos systèmes ont été pensé sur le curatif plutôt que sur le préventif, or ce qui est plus important. C’est maintenant que la prévention commence à entrer dans les pratiques.

Quels sont les chiffres des cinq (5) dernières années, en matière de lutte antitabac en Côte d’Ivoire ?

Au départ, nous étions à près de 15% au niveau de la prévalence globale. Mais quand on rentre dans les tranches d’âge, on se rend compte que la situation est de plus en plus préoccupante. Il y a certaines tranches d’âge qui vont jusqu’à 20% voire 40% de taux de prévalence. Cependant, avec les activités de sensibilisation et d’accompagnement, nous sommes arrivés aujourd’hui à un taux de prévalence globale d’environ 8,5%. Et avec les tranches d’âge, il y a une chute chez les 13 à 15 ans et chez les 25 à 35 ans également. Cela témoigne de l’impact réel des campagnes de sensibilisation et des activités du PNLTA sur la population. Au regard des mesures prises par les autorités pour accompagner la lutte, avec les lois et les décrets, la Côte d’Ivoire est sur une bonne lancée en matière de lutte contre le tabac. Il nous appartient de faire comprendre aux populations que le tabac est un véritable poison qui tue. Il faut inculquer aux enfants que la consommation du tabac est la porte d’entrée à la consommation des drogues. Il faut une synergie d’action dans la lutte pour changer les comportements et les habitudes vis-à-vis du tabac.

Que pouvons-nous retenir sur les conséquences du tabac ? 

Le tabac tue tout. Il n'y a pas que des conséquences sanitaires. Elles sont parfois économiques. Pour quelqu’un qui fume 2, 3 à 4 parquets par jour sachant qu’un paquet coûte 700 francs, imaginez les fonds qu’il pourrait engranger. Cet argent peut servir au bien-être de la famille, à soigner et scolariser les enfants. Quand le fumeur tombe malade d’un cancer ou d’une maladie respiratoire, il devient une charge pour sa famille, qui s’appauvrit au fil du temps, parce que le traitement coute cher. Et si par malheur il décède, les enfants se retrouvent dans des conditions parfois misérables quand c’est lui qui portait la famille. A ces conséquences sanitaires, économiques, sociales, il y a aussi les conséquences environnementales. Les mégots jetés dans les rues contiennent des produits chimiques. Ils sont transportés et polluent les eaux et l’environnement. Pareil pour le matériel de la chicha qui n’est pas biodégradable. Même les engrais chimiques utilisés dans les plantations de tabac constituent un danger pour le sol. Raison pour laquelle la loi interdit les plantations de tabac.

Avez-vous un appel à lancer ou revenir sur pan essentiel ?

Juste revenir sur le fait qu’il faut faire comprendre aux populations que le tabac est un poison, qui malheureusement agrémente certaines situations. Quand on entend des personnes dire ‘’je fume parce que …, avec différentes raisons’’ ; on pense que le tabac nous est bénéfique. Mais quand on fait le rapport entre bénéfice et dégâts, on se rend compte qu’il n'y a pas de bénéfice. Dès lors qu’on se met à la cigarette, on diminue sans le savoir, notre espérance de vie. Mais il est toujours bon d’arrêter pour retrouver une seconde vie, même si on n’a plus les mêmes capacités respiratoires, on peut prolonger notre existence de quelques années de plus. On peut toujours arrêter.

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Par Raphael Okaingni

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